Le Livre Des Secrets |
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Sèche et infertile, cette contrée ne présentait nulle qualité hormis celle d’avoir conservé le livre des secrets. On raconte en fait, qu’un proche parent d’Adam avait hérité d’un livre où toutes les sciences étaient inscrites en toutes lettres. Mais à cette époque, le dur labeur l’emportait sur la lecture et le savoir. Pour protéger alors cette richesse de l’indifférence du quotidien, Adam décida avant de mourir de céder ce livre à un sage afin de s’épargner les vices et la superfluité de l’intelligence humaine. A quoi sert cette dernière si tout est déjà dans le livre? Génération après génération des élus plutôt honnêtes qu’intelligent se chargèrent de la protection du livre des secrets. L’un deux remarqua cependant que quelques lignes y manquaient déjà. De la bouche de son ex-gardien, qui était visiblement sur le point de mourir, il apprit que la tare de ce livre était de s’effacer à force d’être lu. Faute de mieux, le nouveau élu décida de ne le lire que rarement. Néanmoins et quoiqu’il fît pour sauvegarder le contenu, les pages se dénudaient. Les sages qui eurent par la suite le bonheur de garder le livre des secrets ne purent point s’empêcher de le feuilleter. Et comme ils vivaient dans sa seule compagnie, ils ne virent aucune nécessité de le mémoriser d’ailleurs, il leur était interdit de confier ses secrets à d’autres feuilles. On pensait que le copiage accélérait l’effacement. Ils ne firent alors aucun effort pour échapper au pire. Toutefois, plus ce livre se vidait et plus ses gardiens devenaient intelligents et lucides. Imbus de sagesse et assoiffés de savoir, ils apprirent vite à user de leur solitude pour se forger des idées, parfois totalement opposées à celles du livre. D’ailleurs, ils ne le consultaient plus que rarement. Quelques uns se décidèrent même à l’accrocher très haut aux murs de leur demeure pour ne distinguer ses lettres que difficilement. Pour les héritiers de la sagesse divine, il suffit d’un rien pour inventer un monde. L’effacement se ralentit donc grâce à cette ignorance volontaire. Néanmoins, des milliers de pages que comptait le livre, seule une garda des transcriptions au fil des générations. On décida donc qu’une seule lecture serait permise à chaque gardien. On se contenta de la lire et surtout de commenter, mais chacun à sa guise, l’incommensurable vide qui l’entourait. Toutefois on partait encore de quelque chose et c’était suffisant pour qu’un sage se sente à l’abri de l’erreur. Mais la page se vidait encore et se vidait toujours, jusqu’au jour où l’un des sages remit le livre des secrets immaculé à un jeune élu. Ce dernier, déçu par l’immense vide qu’on venait de lui léguer, sentit lourd le poids du fardeau qu’il allait porter. En se glissant entre la souffrance et le silence du moribond qui venait de lui léguer cette charge, il apprit, à sa grande surprise, que désormais c’était le livre et non le contenu qu’il devrait garder. « Ne cesse jamais de lire ! » ajouta le moribond. |
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